Un tri politique des associations par les préfectures

Un tri politique des associations par les préfectures

Pablo Corroyer, chercheur à l'université de Lille

90' // Les entretiens télé millevaches, décembre 2024
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Les préfectures de Creuse et de Corrèze ostracisent des associations en les privant de financements sur des critères politiques inavoués. C’est le premier diagnostic d’une étude réalisée entre 2023 et 2024 par Pablo Corroyer, chercheur en science politique de l’université de Lille.

Cette ostracisation est rendue possible par une réorganisation profonde de l’État, une mise sous tutelle de l’administration par le ministère de l’Intérieur que le chercheur détaille et dont la loi « séparatisme » et son contrat d’engagement républicain sont le dernier épisode. Pablo Corroyer qualifie ce mouvement de sécuritisation : une montée du prisme sécuritaire dans l’action publique au détriment des prismes sociaux, démocratiques ou culturels. Le phénomène n’est donc pas local, mais le plateau de Millevaches, jugé trop contestataire, serait particulièrement touché. Les motifs précis d’ostracisation pour chaque association ne sont pas établis.

L’étude ne sera publiée que d’ici un an. L’auteur a pourtant jugé utile d’en médiatiser les premiers résultats de façon anticipée. Il s’agit d’alimenter le débat public dans un contexte où la survie financière de certaines des associations touchées est urgemment menacée. Télé Millevaches publiera en février 2025 un reportage constitué de témoignages qui illustrent les résultats de Pablo Corroyer.

L’entretien dure 1h30. L’index suivant permet de butiner un sujet ou l’autre.

00:01:07 Introduction : quantité d’associations ostracisées sur le plateau de Millevaches et dans le reste de la France avec un certain écho médiatique.
00:03:00 Une étude de science politique en Creuse et Corrèze, entre 2023 et 2024. Une difficulté : recueillir les témoignages des agents, dont la liberté d’expression est contrainte.
00:11:08 Résumé : une ostracisation financière de 20 à 35 associations de Creuse et de Corrèze, due au contexte local et à une transformation profonde de l’État.
00:13:25 Exemple 1 : Peuple et Culture à Tulle. Subvention refusée parce qu’une administratrice a été vue dans un rassemblement de soutien à des féministes interpellées pour avoir collé des affiches à l’occasion d’un déplacement de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, quand il était inquiété par des accusations de viol.
00:20:18 Le motif avait fuité d’une réunion collégiale avec le secrétaire général de la préfecture : le règlement de ces réunions est modifié pour museler les participants.
00:21:27 Exemple 2 : le fonds de soutien aux médias de proximité. En 2022 et 2023, la préfecture de région a vainement essayé d’en priver Télé Millevahces, IPNS et la Trousse corrézienne.
00:30:34 La neutralité de l’État mise à mal. « Une sorte de tri […] des associations jugées trop politisées ou trop contestataires » au travers d’un profilage douteux de leurs membres.
00:36:37 Dans six départements de Nouvelle-Aquitaine, la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), doit soumettre ses dossiers aux préfectures départementales pour qu’elles y fassent leur tri. C’est inédit en France.
00:40:50 Une souffrance des agents : leur travail est nié et ils ne peuvent pas parler.
00:42:57 Une liste rouge d’associations à ne pas financer, aux contours mouvants et de l’ordre de la rumeur.
00:46:17 L’Agence régionale de santé (ARS) et la Caisse d’allocations familiales (CAF) échappent (encore) à la tutelle du ministère de l’Intérieur.
00:53:35 « Une extension du domaine du soupçon au sein duquel potentiellement toute association pourra finir par rentrer. » Vivre en yourte, c’est déjà suspect.
00:55:48 « Cette reprise en main préfectorale du financement des associations est rendue possible par une transformation très profonde de l’État » de nature néolibérale : RÉATE en 2010, puis une mise sous tutelle par décret en 2020.
01:03:56 Terrorisme, radicalisation, « bas du spectre » séparatiste et terreau contestataire : la loi séparatisme contre des pratiques militantes.
01:10:55 « Désinhiber l’administration […] c’est-à-dire donner les moyens aux préfectures de contraindre l’ensemble de l’appareil d’État, et même l’ensemble des collectivités territoriales »
01:11:51 Le cas Alternatiba : la préfecture qui voulait faire retirer un financement perd contre Poitiers et Grand Poitiers. Autres affaires judiciaires en cours concernant le contrat d’engagement républicain (CER).
01:16:11 Les préfectures évitent d’utiliser officiellement le CER pour ne pas offrir de prise juridique aux associations. L’argument budgétaire est avancé à la place.
01:20:30 Le tri politique des associations par les préfectures est un fait établi. Ce qui ne l’est pas, ce sont les motifs précis selon lesquels chaque association a été ostracisée.
01:22:20 « Ce qui reste à comprendre, c’est aussi la part du contexte local particulier que serait le plateau de Millevaches […] et celle du contexte national, de la loi séparatisme, de la réorganisation de l’État […], de sa sécuritisation », le phénomène par lequel le prisme sécuritaire s’empare de l’action publique.
01:26:37 Publication de l’étude : d’ici un an. Autres travaux universitaires de l’Observatoire des libertés associatives : « Une citoyenneté réprimée » et « Une nouvelle chasse aux sorcières ».
01:29:38 Expérimentations avec des collectivités locales autour de la « démocratie d’interpellation ».

Mediapart vient de publier un dossier sur le même sujet, sous la plume de Jérôme Hourdeaux (abonnement payant).

Fiche technique

Titre : Un tri politique des associations par les préfectures
Durée : 90'
Date de production : décembre 2024
Format : HD 1080
Production et distribution : Télé Millevaches
Réalisation : Télé Millevaches
Droits : Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Partage dans les mêmes conditions 3.0 France (CC BY-NC-SA 3.0 FR)
Rushes conservés : oui
Photos du tournage : non

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